Mexico 1968 : Les Jeux
Jeux de la XIXe Olympiade
Date d'ouverture : 12 octobre 1968
Date de clôture : 27 octobre 1968
Pays de la vile hôte : Mexique
Villes candidates : Détroit (USA), Lyon (FRA) et Buenos Aires (ARG)
Participation :
112 CNO (Nations) / 5 530 athlètes (780 femmes, 4 750 hommes) / 172 épreuves
Ouverture officielle des Jeux : Gustavo Diaz Ordaz (Président des Etats-Unis du Mexique)
Allumage de la vasque olympique : Norma Enriqueta Basilio de Sotelo (athlétisme)
Serment olympique : Pablo Garrido (athlétisme)
Sports au programme :
Natation - Athlétisme - Basketball - Boxe - Canoë / Kayak - Cyclisme - Sports équestres - Football - Escrime - Gymnastique - Hockey - Pentathlon moderne - Pelote basque - Aviron - Voile - Tir - Tennis - Volleyball - Haltérophilie - Lutte
Contexte
D’un point de vue mexicain, la préparation des Jeux olympiques est marquée par la répression, le 3 octobre, moins de dix jours avant la cérémonie d’ouverture, d’une révolte étudiante contre le régime de Gustavo Diaz Ordaz. Près de trois cents morts sont comptabilisés sur la place des Trois-Cultures. La crainte de perturbations lors des Jeux olympiques se matérialise par une mobilisation importante des forces armées. Au final, les étudiants profitant de la fête olympique sans la détourner. Ce ne sera pas le cas pour tous…
Aux Etats-Unis, le combat pour les droits civiques des Noirs américains continue, malgré l’assassinat, le 4 avril 1968, du révérend Martin Luther King. A Mexico, les coureurs relaient ainsi le message de l’organisateur de la marche sur Washington de 1963… Pour être exacts, les athlètes noirs américains s’inscrivent dans une démarche plus radicalisée, celle des Blacks Panthers. Leur approche est très visuelle : tous portent un gros macaron marqué « Olympic project for human rights » (OPHR) également affiché par nombre d’athlètes blancs de la délégation américaine, solidarisés. Leur approche se veut respectueuse des Jeux olympiques : il ne s’agit pas de boycotter (ce qui était initialement prévu) ou de saboter l’évènement, mais de se servir de cette caisse de résonance pour réaffirmer leur opposition à l’injustice dont les Afro-américains sont à l’époque victimes aux USA. Le 9 octobre, à trois jours de la cérémonie d’ouverture, de nombreux athlètes noirs américains pénètrent le bâtiment où logent les représentants de l'Afrique subsaharienne et procèdent à des échanges et cadeaux vestimentaires : pour les jours à venir, les Noirs américains se promènent dans le Village olympique vêtus de tenues traditionnelles africaines.
Mais c’est une semaine après que la force de l’image sera exploitée à son apogée. Ce mercredi 16 octobre, Tommie Smith et John Carlos montent sur les première et troisième marches pour la cérémonie des médailles du 200 m. Tandis que la bannière étoilée monte dans le ciel de Mexico, Smith et Carlos, chaussures enlevées, chaussettes noires (symbole de la pauvreté des leurs compatriotes de couleur), inclinent la tête et brandissent un poing ganté de noir (représentant l’unité et la révolte du peuple noir des Etats-Unis). Ils portent également au cou un foulard pour Smith et un collier pour Carlos, en référence aux nombreux lynchages commis dans le Sud des Etats-Unis. En coulisse, ils ont préparé leur coup d’éclat avec la complicité de Peter Norman, l’Australien médaillé d’argent qui leur demande un macaron OPHR et leur suggère de partager leur unique paire de gant. Un lien indéfectible naitra entre ces trois hommes. En 2006, Peter Norman décède : Carlos et Smith se rendent en Australie et portent le cercueil de leur camarade de lutte resté dans l’oubli.
Pour revenir sur Mexico, le podium de Carlos et Smith est hué par le public. Avery Brundage, président du CIO, demande l’exclusion des deux athlètes américains, considérant que les questions de politique intérieure d'un pays n'ont pas leur place au sein de l’évènement olympique. Smith et Carlos sont suspendus de l'équipe américaine, bannis du village olympique et exclus à vie des Jeux olympiques. Ils recevront également des menaces de mort contre eux et leur famille. Ecœuré, Lee Evans ne veut pas courir le 400 m. A la demande de Carlos, il prend le départ et gagne en 43’86… un record du monde qui vivra 20 ans. Sur le podium, Lee Evans, Ron Freeman et Larry James, tous trois Noirs américains, portent le béret noir des Blacks Panthers et n’hésitent pas non plus à lever le poing. Etonnamment, alors que Carlos et Smith furent vilipendés, aucune sanction ne fut réellement prise contre les sprinters du 400m. Il reste un relais à courir. Le trio américain remporte l’or et, accompagnés de Vince Matthews, ils rééditent leur manifestation. A son tour Bob Beamon fera de même sur le podium du saut en longueur.
Smith et Carlos achevèrent leur carrière sportive dans le football américain. En 2005, une statue des deux coureurs sur le podium de Mexico fut érigée sur le campus de la San Jose State University dont ils étaient issus. Entrés dans l’histoire olympique, ils sont désormais des symboles de la lutte pour les droits civiques.
Les Jeux
La sauteuse de haies Enriqueta Basileo devint la première femme à enflammer la vasque au cours de la cérémonie d’ouverture.
A propos de femmes, les Jeux Olympiques de Mexico furent aussi les premiers à prévoir des tests de féminité. On utilise alors le test de Barr, appuyé à un prélèvement de salive analysé en laboratoire, et qui s’est révélé plus tard, ne pas être très fiable...
Les performances des athlètes américains sont exceptionnelles à Mexico. Outre leurs athlètes noirs qui battent tous les records, les USA possèdent dans l'inusable AI Oerter une véritable légende qui gagne à Mexico sa quatrième médaille d'or au disque. Autre héros, rentré pour longtemps dans la postérité, l'inattendu Dick Fosbury qui, vainqueur de la hauteur, donnera son nom à la technique du saut dorsal. L’Américaine Wyomia Tyus devint la première à répéter une victoire dans le 100m. En natation, Deborah Meyer n’est pas en reste sur ses équipiers de l’athlétisme, elle remporte trois médailles d’or en nage libre sur 200, 400 et 800 m.
Triple médaillée d'or et médaillée d'argent aux Jeux de 1964 à Tokyo, la gymnase tchécoslovaque Vera Cáslavská part favorite pour les Jeux de 1968. Mais en avril, elle signe le "Manifeste des deux mille mots", qui condamne l'ingérence soviétique en Tchécoslovaquie. En août, deux mois avant les Jeux Olympiques, l’URSS envahit la Tchécoslovaquie. Menacée d’emprisonnement, Caslavska se cache durant trois semaines dans les montagnes. Elle en émerge pour gagner quatre médailles d’or et deux d’argent.
Le continent africain fait une spectaculaire percée dans l’Olympisme. Les spécialistes du fond venus des hauts plateaux se régalent à Mexico et se répartissent les médailles : le Kenyan Kipchoge Keino gagne le 1500m, et relègue le recordman du monde, l'Américain Jim Ryun, à 3 secondes. Le Tunisien Mohammed Gammoudi enlève le 5000m devant deux Kenyans : Kip Keino à nouveau et Naftali Temu. Ce dernier remporte le 10 000m devant l'Ethiopien Mamo Wolde et Gammoudi. Et enfin Wolde se console en s'imposant sur le marathon. Amos Biwott donne au Kenya sa troisième médaille d'or, sur le 3 000 m steeple.
Les Jeux olympiques de 1968 enregistrent par ailleurs une première disqualification pour dopage, avec l’exclusion du pentathlète suédois Hans-Gunnar Liljenwall… pour un taux d’alcoolémie supérieur à la limite autorisée.
Notons enfin que la RDA dépasse pour la première fois la RFA au tableau des médailles.
Le fait : l'athlétisme aux sommets
Le choix de Mexico comme ville organisatrice des Jeux olympiques fut très controversé du fait de l’altitude élevée de la ville, 2 300m et un air qui contient 30% d’oxygène de moins qu’au niveau de la mer. Cette situation était pressentie comme préjudiciable pour les coureurs de fonds, et beaucoup craignaient même une recrudescence d’accidents cardiaques. Si les épreuves d’endurance ne fournirent pas de performances extraordinaires et furent surtout dominées par les spécialistes de l’altitude venus du Rif africain, l’altitude élevée amena des records du monde dans toutes les disciplines d’athlétisme masculin de moins de 400m, y compris les deux relais, les haies, le saut en longueur et le triple saut. Il faut dire que la piste synthétique, utilisée pour la première fois aux Jeux olympiques vient rajouter un élément de performance supplémentaire, sans parler des technologies qui évoluent, à l’exemple des chaussures à pointes dont s’équipent les sprinteurs américains.
John Smith, dominateur
Parmi ceux-là, John Smith, sprinteur surdoué qui prend le record du monde écrase le 200m en 19’83 après avoir coupé son effort à 20 mètres du but. Si son poing levé est désormais célèbre, peu de gens savent que Smith monta également sur le podium avec une boite contenant… ses chaussures à pointes dont le modèle n’avait pas encore été validé par la Fédération internationale (ce qui lui avait coûté la validation d’un record du monde, ainsi d’ailleurs qu’à d’autres coureurs tels Vincent Matthews sur 400m. Jim Hines, un ancien joueur de baseball remporte le 100m et fait passer le record du monde sous les 10s. (9"95) avant de battre celui du relais 4 x 100m avec Charles Greene, Melvin Pender et Ronnie Ray Smith en 38"2. Les Américaines Barbara Ferrell, Margaret Bailes, Mildrette Netter et Wyomia Tyus battent le record du monde en 42"8. Tyus fait par ailleurs le doublé en établissant un nouveau temps de référence sur 100m en 11s. tout juste. Autres tombeurs de records du monde : Irena Szewinska (Pologne, 200m,22"5), Lee Evans (USA, 400m, 43"86), Ralph Doubell (Australie, 800m, 1'44"3), David Hemery (Royaume-Uni, 400m haies, 48"1) et le relais 4x400m américain (Vincent Matthews, Ron Freeman, Larry James, Lee Evans en 2min.56’16), Margitta Gummel (RDA, 16,61m au lancer de poids féminin), Viktor Sanyeyev (URSS, 17,39m au triple saut), et Viorica Viscopoleanu (Roumanie, 6,82m au saut en longueur féminin).
Quant aux records olympiques, ils sont également renouvelés par Madeline Manning (USA, 2'00"9, 800m F), Kipchoge Keino (Kenya, 3'34"9, 1500m), Maureen Caird (Australie, 10"3, 80m haies F), Willie Davenport (USA, 13"3, 110m haies), Bill Toomey (USA, Décathlon, 8193), Janis Lusis (URSS, 90,10m au lancer de javelot), Gyula Zsivótzky (Hongrie, 73,36m au lancer de marteau), Lia Manoliu (Roumanie, 58.28 m au lancer de disque féminin), Al Oerter (USA, 64,78m au lancer de disque masculin), Randy Matson (USA, 20,54m au lancer de poids masculin), Bob Seagren (USA, 5,40m au saut à la perche), sans oublier Dick Fosbury (USA) et son incroyable saut dorsal à la hauteur…2,24m et une révolution de sa discipline.
Mais la performance de Robert, dit Bob, Beamon en saut en longueur sort indéniablement du lot : plus 55 cm… il faudra attendre 1991 pour que Mike Powell (8,95m lors d'un concours d'anthologie face à Carl Lewis aux Mondiaux de Tokyo) vienne faire reculer Beamon dans la liste des détenteurs du record du monde de saut en longueur. Après avoir remporté 22 des 23 rencontres organisées au cours de la saison précédant les Jeux Olympiques de 1968, Beamon, dont la particularité était qu’il pouvait indifféremment prendre son impulsion des deux pieds, était le grand favori à Mexico.
Bob Beamon, aérien
Son entrée dans le tournoi ne fut pourtant pas sereine, puisqu’il frôla l’élimination dès les qualifications. Le 18 octobre, la finale du saut en longueur se préparait sous la menace d’un climat orageux. La soirée précédente, Beamon avait, de son propre aveu, noyé dans l’alcool des soucis personnels et ce contexte pesant d’injustice lié à l’exclusion de ses amis Carlos et Smith. Un vent à 2 m/s juste, une densité de l'air inférieure à la normale en raison de l'altitude (2 250m), tout était réuni pour l'exploit de l’étudiant de l'Université du Texas à EI Paso.
Son dossard n°254 fut le premier à s’élancer, à 15h45, sous les yeux inquiets des quinze autres finalistes. Le premier essai de Beamon, un envol en double ciseau au regroupement parfait, suspendit le temps pour les spectateurs du stade olympique. Beamon avait atterri au-delà des limites mesurables ! Sûrs d’une planche parfaite, et donc de l’exploit, les juges durent recourir à un mètre à bande métallique, avant d’annoncer le nouveau record du monde : 8,90 mètres… à comparer avec les 8,35 mètres du précédent record. Connaissant mal le système métrique, l’universitaire de Texas Del Paso, exclu des compétitions universitaires peu avant les Jeux pour avoir refusé de courir avec des partenaires blancs irrespectueux, dut attendre que Ralph Boston, son coéquipier, lui-même détenteur du record du monde depuis 1965, lui convertisse la distance en pieds (soit 29 pieds et 2,5 pouces) pour comprendre. Il venait de prendre sa revanche sur la vie et s’effondra sur la piste, emporté par une émotion incontrôlable et contagieuse. Il pouvait se mettre à pleuvoir.
La postérité de Beamon est désormais assurée par la langue anglaise, l’adjectif sportif beamonesque y désignant depuis un « exploit tellement supérieur aux précédents qu'il dépasse l'imagination ».
Perspective
Mexico 1968
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